Oser le féminisme? Retours sur la journée contre les violences faites aux femmes, Paris, 25/11/2017

DSC_0325 (2)Texte et photos par Ophélie Parent

Ce 25 novembre dernier a eu lieu une série de manifestations en France et dans le monde, pour dénoncer les violences faites envers les femmes. Retours sur la manifestation parisienne, de la place de la République à l’Opéra, le 25 novembre 2017.

25 novembre ? Cette date est a priori inconnue par le commun des mortels en France et pour ce, elle n’est en rien une date correspondant à l’agenda historique franco-français. Le 25 novembre se célèbre la Journée Internationale contre les violences faites aux femmes, décision prise le 17 décembre 1999 par l’Assemblée Générale des Nations-Unies à l’issu de la résolution 54-134[1]. Quatre conférences mondiales sur les femmes avaient eu lieux précédemment, la première à Mexico en 1975, puis à Copenhague en 1980, Nairobi en 1985 et Beijing en 1995 et c’est en 1999, lors de cette Assemblée Générale, qu’est votée la célébration de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes.

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Extrait de l’Album de Pénélope Bagieu, «Culottées Tome 1, Des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent»

Pourquoi le 25 novembre ? Cette date fait référence aux Sœurs Mirabal dites «Las Mariposas» (Les Papillons), militantes engagées en République Dominicaine contre le dictateur Trujillo , elles furent assassinées, coupées à la machette, le 25 novembre 1960[2].

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Aujourd’hui, quand bien même l’agenda international onusien admet comme un de ses  objectifs prioritaires la lutte contre les violences faites aux femmes, on observe une augmentation des maltraitances.

Si l’accès des femmes au monde du travail est présenté comme une avancée pour leur libération, leur offrant alors la possibilité d’acquérir une autonomie économique et ainsi se libérer de l’oppression des maris, il n’en est pas moins que les violences et discriminations vécues dans le milieu salarial, associées aux violences conjugales, au harcèlement des amis, petits-amis, dans la rue et aux responsabilités et exigences croissantes qui leurs sont octroyées, parler d’avancées sociales pour les femmes n’est qu’un trop gros mot, voire une insulte.

Les articles représentant la manifestation du 25 novembre dans la presse à grand tirage en disent long sur l’incapacité des médias à parler des femmes. Les photos les plus publiées sont celles des FEMEN, un groupe féministe pourtant très controversé dans de nombreux milieux féministes. Pourquoi ce choix? Il apparaît alors que la presse, étant bien trop peuplée de personnes de sexe masculin, doit prendre du plaisir à photographier ces femmes blanches au corps parfait – selon les critères de beauté hégémoniques -, les seins nus et les tétons qui pointent (la température ne dépassant pas, ce jour-là, les 5 degrés). Pourtant, les FEMEN n’étaient pas représentatives de l’hétérogénéité de la manifestation.

 

 

Place de la république, à 14h30, les différents collectifs présents s’organisent et se préparent, un collectif de femmes dénonçant les meurtres de femmes à la suite de violences conjugales se met en scène par une performance, elles sont vêtues de noir et rouge et sont maquillées de têtes de morts. Elles dansent et crient les noms de ces femmes tuées, en France, un jour sur trois, selon les statistiques officielles. En suit un autre groupe de femmes qui se rassemble et chante en hommage à la lutte des femmes.

 

 

Des milliers de femmes sont présentes, une écrasante majorité sont des femmes, peu étonnant pour une marche contre les violences faites aux femmes, et pourtant.

Alors que la manifestation s’apprête à démarrer, je vois des journalistes se tourner vers le cortège du PCF. Une dizaine de femmes tiennent l’affiche, au centre, un homme blanc, deux hommes journalistes, micro et caméra en mains lui font une interview. Je me rapproche alors, pour prendre ces photos.

 

 

Je resitue: nous sommes dans une manifestation pour les femmes et contre les violences faites aux femmes et les journalistes hommes ont, encore une fois, trouvé le moyen de faire une interview à un homme, hypocrisie totale. Mais, au final, nous sommes habituées et c’est ça le problème, pour être légitimée, rationalisée, la parole des femmes doit être mise à mots par les hommes. Je prends alors ma photo et je dis aux femmes qui tenaient l’affiche : « il faut laisser la parole aux femmes! » en signalant les trois hommes et une d’entre elles me répond: « Oui c’est vrai ça ! Mais ils veulent pas ! ». Tout était dit et finalement oui, nous étions toutes là pour ça, pour prendre la parole, dans la rue, où même si les caméras nous voleraient nos paroles et nos mots nous étions présentes, et nous récupérions la rue, au moins le temps d’une après-midi, pour toucher ne serait-ce que celles et ceux qui passeraient par là, à ce moment-là.

 

 

Les pancartes fusent de ces femmes, maltraitées, souillées, tues, battues, pour dénoncer l’ensemble de ces violences quotidiennes d’un système patriarcal qui tend toujours plus à se renforcer, malgré les pseudo-avancées.

Les médias de grande diffusion relèvent les partis politiques et syndicats présents, mettant en scène leur protagonisme alors que les syndicats et partis s’était insérés à la fin du cortège. Ce jour-là, c’était une diversité de collectifs de femmes que l’on remarquait réellement. Des plus grands collectifs féministes aux plus petits et récents comme celui de ces femmes du FFRA (Féminisme, Femmes Racisées et Antispécistes) ou encore ces femmes luttant contre les violences obstétricales et gynécologiques, les féministes libertaires, les féministes lesbiennes, les trans, les travailleuses, sans compter toutes ces femmes venues seules, en groupes d’amies ou en groupes d’ami.e.s, en tant que femmes, plus qu’en tant que féministes. La diversité fait loi, la solidarité internationale est présente, car les violences envers les femmes nous touchent toutes, directement et partout.

 

 

Dans cette diversité, et on ne les voit que très peu représentées dans les articles en ligne des grands journaux, les stars de la fête étaient les latinas, les femmes latino-américaines avec, de loin, une longueur d’avance. Outre le fait qu’elles ont, une fois de plus, donné le ton avec leur batucada, leurs slogans, leurs danses, elles ont su montrer leur détermination à faire sortir les femmes du silence. En mettant en scène une lutte de femmes, lesbiennes, trans, de toutes couleurs et de différents horizons culturels, les femmes latino-américaines se sont imposées.

On voit la différence, ce sont les femmes les protagonistes, elles mènent leur partie du cortège, elles dirigent la batucada, elles jouent la batucada, elles prennent les photos, elles filment, elles dansent, elles chantent, elles crient et les hommes présents qui sont les bienvenus, sont là pour soutenir mais gare à ne pas leur voler un des seuls moments de la vie publique où elles peuvent, à elles seules, se montrer capables de tout.

 

 

La bonne humeur et la festivité de leur cortège n’enlève rien à son sérieux, à la gravité de ce qu’elles dénoncent. C’est en se solidarisant et en montrant leur force collective que le cortège des femmes latino-américaines parvient à mettre au jour la force de ces femmes, pourtant constamment violentées sur tous les champs possibles : politique, économique, médiatique, social, culturel, sexuel, et j’en passe.

D’autres femmes, par leurs chants et leurs slogans graves et solennel font remarquer la souffrance et la nécessité de la reconnaissance de cette souffrance, pourtant si souvent volée par les hommes se faisant passer pour les premières victimes des femmes quand bien même ils sont leurs premiers oppresseurs. Finalement, chaque collectif parviendra à se mobiliser selon ses propres codes, ses propres façons de se penser, de se représenter et de façonner sa lutte.

La manifestation, arrivée à l’opéra sous le joug de la bonne humeur, se terminera par deux moments représentatifs de cette diversité de pratique de la lutte des femmes. Les batucadas au sommet de leur forme, malgré les deux heures de marche s’apaisent et respectent l’appel à la minute de silence, en hommage aux femmes assassinées. Le silence de la minute trouve sa place, pas un bruit sur le parvis de l’opéra, mais on entend ce silence grâce aux cortèges qui chantent au loin, et qui ne vont pas tarder à arriver sur cette place, pourtant déjà pleine. On entend, devant l’opéra, ces femmes qui obligent la société à les écouter et, en même temps, le silence de ces femmes trop souvent tues.

La minute de silence se termine, une seconde femme prend le micro et dénonce la minute de silence, « nous, les femmes, nous sommes continuellement tues, nous voulons rompre ce silence et ce n’est donc pas une minute de silence que nous allons faire maintenant mais une minute de bruits ! » Pas une demi seconde plus tard et les cris, les chants, instruments, tambours, sifflets se mettent à hurler leur bonheur, leur colère, leur misère, une minute de solidarité qui laissera des traces, au moins pour les femmes présentes, qui, bien qu’elles étaient des milliers ce jour-là, étaient loin d’être représentatives de la majorité exploitée, violentée, discriminée.

 

 

S’il faut combattre, nous combattrons, mais il est plus que temps que les hommes prennent leurs couilles entre les mains et luttent eux-mêmes contre le machisme qui est en chacun d’eux et que les femmes prennent leurs ovaires en mains et se solidarisent, contre le machisme présent en chacune de nous.

[1] http://undocs.org/fr/A/RES/54/134

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C5%93urs_Mirabal.